- Basil HirschCo-fonda • Da Vinci Code
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Date d'inscription : 22/08/2019
Basil Hirsch | Parce que vous n'attendiez plus que lui.
Basil Hirsch
A.K.A "Chrissa Bihl"
47 ans, 24 décembre 1975 • 1m79, barbe courte, large d'épaules, corps mince voire maigre avec muscles apparents, plusieurs cicatrices • M • Yeux vifs, d'un vert changeant • Cheveux blond platine, fins et secs, partiellement teints pour cacher les cheveux blancs • Se sépare rarement d'un vieux bob rayé • Peau claire, teint caucasien • Phalanges légèrement déformées • Voix un peu rauque, (ironiquement) enjouée • Se travestit plutôt régulièrement, ce qui implique rasage, maquillage, changement d'intonation de la voix, et choix des vêtements et gaines pour changer les traits de son visage et donner l'illusion d'une carrure plus féminine.Professeur de littérature, spécialité anglo-saxonne • Écrivain, genre policier (ou pornographique sous un autre nom) • Écrivain de romance sous l'alias "Chrissa Bihl" • Journaliste à la retraite • Nationalité liechtensteinoise • Parle haut-alémanique, allemand, anglais, français et espagnol, a des bases plus ou moins solides dans plusieurs autres langues
• Polyamoureux : n'a aucun mal à éprouver des sentiments durables pour plusieurs personnes à la fois.
• Akoiromantique : ne souhaite pas que ses sentiments soient réciproques, ou à la rigueur, ne souhaite pas être engagé dans une relation.
- Deeper in his head:
- Si le narrateur de Basil brisait le quatrième mur et lui apprenait qu'il existe une liste décrivant son caractère, il rirait en silence et trouverait la tentative mignonne quoique vaine, tant sa personnalité est plurielle et non-exhaustive.
Basil est un homme difficile à suivre et pour cause, il se plaît à perdre les gens. Il cultive autour de sa personne le mystère, l'extravagance, la contradiction. L'honnête affabulateur. Le brillant imbécile. Le philosophe superficiel. Il aime se mettre au premier plan tout en agissant en coulisses. Il est celui qui dédramatisera ce qu'il prend le plus au sérieux. Il s'apitoiera sur le sort d'une mouche sous sa main et plaisantera sur le dernier attentat en date. Il sourira en prenant une droite. Il sourira en t'en collant une. Il fera un caprice pour une babiole qu'il oubliera une fois obtenue. Qu'il n'a probablement jamais voulue. Ou qu'il chérit possiblement en silence.
Basil n'a pas pour priorité de plaire ou non aux autres, d'être compris, incompris, aimé, détesté, de fasciner, de laisser de glace. Il veut être ce qu'il veut. Quand il veut. Rarement deux fois tout à fait la même personne. De manière infime, de manière flagrante. Le Basil que connaît ton voisin n'est pas forcément celui que tu connais. Le Basil que tu connaissais il y a une heure n'est sûrement pas non plus celui qui viendra te reparler dans cinq minutes. Ton pire ennemi et ton meilleur ami dans un seul corps. Basil se rend ainsi très sociable tout en demeurant très solitaire. À moins que ce ne soit l'inverse.
Basil n'est peut-être rien de ce qu'il montre. Ou peut-être un peu tout à la fois. Basil se réinvente en permanence et ne te laissera jamais savoir qui est le véritable lui. Basil ira jusqu'à dire qu'il aimerait rester une énigme pour lui-même. Mais Basil se connaît parfaitement. Ou pas, qui sait ? Certainement pas toi.
Narrateur
Tu vois, ton don, il est un peu naze sur le papier, contrairement à ceux qui font jaillir des flammes, ou même à ton meilleur pote, Ulrich, qui peut faire taire les gens. Toi tu as un simple narrateur dans ta tête. Une voix off. Une version de ta voix qui a grandi et mûri avec toi, associée et dissociée de ta propre conscience.
Elle ne communique jamais directement avec toi, pas faute d'avoir essayé pourtant. Elle se contente de dicter les choses sans manifester de réels états d'âme. Ses intonations correspondent à celles de quelqu'un qui veut donner de la vie à son histoire, mais qui ne la vit pas par lui-même. Son style et son vocabulaire s’enrichissent du tien cependant : avec le temps, elle s’est mise à employer des figures de rhétorique, à faire des sous-entendus, si bien que parfois, c'en devient équivoque. Elle peut donner l'illusion d'avoir une opinion, un avis, mais en réalité dans ces moments-là, elle ne fait qu'utiliser des procédés narratifs, et elle se calque généralement sur ton propre ressenti.
Depuis son apparition, elle n'a jamais quitté ton esprit, se faufilant jusque dans tes rêves. C'est excessivement pesant, tu ne trouves pas ? Il t'arrive encore de le penser, quand elle couvre tes réflexions propres pour te sortir trois tomes au sujet de la machine à café en panne ou de la grosse dame et son chien en bas de ta rue, quand elle réussit à te gâcher un livre ou d'un film parce que par miracle – appelons ça une malédiction – elle a deviné la fin, quand elle ralentit la venue de ton sommeil en ressassant tes propres souvenirs, précisément ceux que tu veux oublier.
Mais tu t'es habitué, ça fait une trentaine d'années que tu la supportes. Avec de la concentration, tu parviens même à l'ignorer comme s'il ne s'agissait que d'un bruit de fond, une musique d'ambiance. Sauf que la concentration n'est pas toujours ton truc. Elle a le chic de choisir les bons mots qui te feraient sortir d'une transe juste pour l'écouter. Alors il te faut compter sur ta vigilance. C'est néanmoins crevant d'être vigilant en permanence, surtout pour un distrait comme toi. Un jour, tu te feras peut-être renverser par une voiture parce que tu as traversé au rouge, l'attention accaparée par la description graphique de ce que faisait la maîtresse du conducteur à moitié couchée sur les cuisses de ce dernier.
Car oui, ton pouvoir te révèle parfois certaines choses dont tu n'étais pas censé connaître l'existence. D'autres exemples au hasard : un moment du passé de ta boulangère, la prochaine connerie de Jean-Eude pendant ton cours ou encore le sujet de ton agrégation en littérature. Pratique, hein ? Si seulement cette voix ne se trompait pas régulièrement. Elle est d'ailleurs beaucoup plus fiable pour les événements passés que pour les événements futurs.
C'est bien simple : dans le premier cas, tu peux rendre sa marge d'erreur pratiquement nulle. Pour rassembler un maximum d’informations sur un lieu, il faut fréquenter le lieu. Pour une personne, il faut la côtoyer, elle ou son entourage, le plus souvent possible, le plus longtemps possible, par tous les moyens possibles, pour avoir le temps d’écouter un grand nombre d’anecdotes. Si en prime un lien fort s’instaure entre toi et ladite personne, qu’importe sa nature (positif, négatif, émotionnel, charnel), l’afflux de masse de ces fameuses informations est assuré. Quant à leur viabilité, elle est alors optimale, c’est peut-être lié au fait que tu es un redoutable fouineur.
Dans le second cas en revanche, c'est bien plus aléatoire. Tu penses d'ailleurs que le narrateur repose beaucoup sur l'intuition, ou peut-être sur des observations inconscientes de ta part. Sauf que ça sert à quoi, d'être prévenu à l'avance de quelque chose si on est incapable de savoir si l'information est vraie, ou fausse ? Sans compter l'interprétation difficile quand la narration est trop imagée. Le pire, c’est quand il se base sur ton imagination, il en vient à fabuler complètement et à s’égarer de longues minutes. C’est aberrant qu’il réussisse à tomber juste, dans ces cas-là.
Bref, le travail de vérification, c'est à toi de le faire, à l'ancienne. Ou alors, il ne te reste plus qu'à attendre de voir si la prophétie était foireuse ou pas, de choisir si tu te prépares à des conséquences ou pas. Il arrive que tu te contentes de hausser les épaules en songeant vaguement "advienne que pourra". Face à ton scepticisme, tu jurerais même qu’il utilise des techniques de charlatan, en restant évasif, général, pour maximiser ses chances d'avoir raison. Est-ce qu'elle aurait un simulacre de personnalité, finalement, cette voix ? Ou toi-même es-tu dans la sur-interprétation ? Tu n'en sais rien et ça ne t'a jamais mené nulle part d'y réfléchir. Tu aimes les vérités accessibles, pas les théories sans fin. C'est similaire à tenter de prouver l'existence ou la non-existence de Dieu à ce rythme.
Tu es bien forcé d'admettre qu'il y a une infinité de choses que tu ignores encore de tes propres capacités. Ton narrateur a de temps à autre des comportements en décalage avec ses habitudes. En particulier dans des situations ou toi-même tu es en décalage avec tes habitudes. Même au quotidien, il y a des milliers de questions qui se soulèvent : pourquoi te raconte-t-il précisément ceci ou cela ? Qui influence le plus l'autre ? Pour quelle raison lui est-il arrivé, une fois, UNE FOIS, de s’emballer pour un individu en particulier et d’avoir à cent pour cent raison ?
Hein, Riri, pourquoi ?
Ah, tu vois que tu t'interroges beaucoup quand même, pour quelqu'un qui ne veut plus se poser de questions. N’empêche, c’est dommage, tu aurais aimé avoir une boule de cristal infaillible. Mais bon, ça t'avance loin dans la vie de savoir que ton collègue a mangé des céréales à son petit-déj', non ?
Et mes rêves se brisent sur tes phalanges
Tu n'as pas eu une enfance particulièrement exceptionnelle – sans rire. Tes parents et ton grand-frère sont tous de confession catholique et bien propres sur eux comme on les aime. Vous habitiez au premier étage d'une charmante maison dont le rez-de-chaussée et le sous-sol abritaient l'affaire familiale tournant autour de la vente du vin des Alpes environnantes. Vous meniez une existence que tu qualifierais personnellement de "chiante" plutôt que simplement "tranquille". Tu avais clairement l'impression que le bon Dieu prêché autour de toi s'était sacrément planté en te paumant ici.
Ce n'est pas faute d'avoir essayé de t'intéresser au métier de ton père, dans un pays en pleine reprise de son activité viticole. Tu as connu très tôt les plantations de raisin, les variétés, l'entretien des vignes, les vendanges, la mise en tonneau, les odeurs, les goûts, les robes, le jargon, le commerce. La passion surtout, tu as été à son contact, elle rendait ton paternel et son premier fils très complices. Mais rien à faire, ça n'a pas éveillé la tienne, au contraire, tout était plus intéressant à étudier à ton sens si tu pouvais t’affranchir de tout ça. Même pour oublier, tu apprendras vite qu'il y avait mieux que le vin.
Maman, par exemple, paraît-il qu’elle préférait le voisin. Tu avais douze ans, une bise sur ta joue avant d'aller à l'école t'avait suggéré que ses lèvres aimaient bien d'autres choses que le Gewurztraminer ou celles de papa. Sympathique, comme première manifestation concrète d'un pouvoir qui jusqu'à présent, n'avait jamais été plus que de puissantes intuitions, et une impression vague et désagréable d'être sans cesse à la fois acteur et spectateur d'une vie qui était la tienne, sans l'être.
Choquant, de passer pour Jeanne d'Arc, d'un coup ? Clairement. Maintenant qu’elle avait commencé à s’exprimer, cette voix ne voulait décidément plus se taire, et elle ne t’épargnait rien. C’était comme une version dédoublée et autonome de ta conscience, dépeignant soigneusement ton quotidien en l’agrémentant d’anecdotes sur celui de ton entourage, dont tu te serais souvent passé. En même temps, tu t’attendais à quoi ? La première fois qu’elle avait jugé bon de l’ouvrir, c’était pour accuser ta mère d’adultère. Au fil du temps, ton don fera moins de toi un illuminé qu'un désillusionné.
Tu n’as jamais voulu, ou pu te résoudre à en parler à quiconque. Tu as commencé à écrire. Un journal, tout bête, pour te défouler, pour ne pas devenir dingue. Et pour tenter d’aider ta mémoire à gérer le flux d’informations soudainement trop intense que tu recevais ; de base, tu étais quelqu’un de très dissipé, incapable de te focaliser sur une seule chose à la fois. Tu compilais ce qui te paraissait utile, important, curieux. Par ailleurs, tu n’as pu t’empêcher de commencer à enquêter par toi-même sur les révélations occasionnelles que pouvaient te faire cette voix.
Au départ, tu vérifiais de petites choses seulement : si ton voisin de table en cours avait bel et bien pompé tout son devoir sur celui de son camarade de derrière en échange d’une photo de sa sœur sous la douche. Si le fils du boucher avait effectivement piqué dans la caisse pour se payer des cigarettes qu’il fumait en cachette sur un des multiples sentiers de promenade alentours. Étrangement, plus tu prêtais attention à ce qui t’était raconté, plus tu recevais de détails, comme pour te garder intéressé. Mais en contrepartie, plus il y avait de chances que ça soit truffé d’erreurs. C’était devenu ta spécialité de trier toi-même le vrai du faux.
Au final, la commune et ses habitants s’avéraient être en quelque sorte tes cobayes, pour tester les limites de ce que tu pouvais apprendre de fiable, de l’usage dont tu pouvais en faire. À ce sujet, tu n’as pas toujours eu des idées très recommandables, et cela ne t’aidait pas à te faire des amis. Mais de l’argent, en revanche… Tu n’avais pas beaucoup de scrupules à vendre une information en fonction de la nature calomnieuse de cette dernière, ou à t’en servir pour obtenir quelques avantages – comme taxer les clopes du fils du boucher contre ton silence. Tu te faisais une petite réputation atypique, à force de fureter, de sous-entendre des choses dérangeantes, de te montrer de moins en moins enclin à la sympathie qu’à adopter une attitude ambiguë et désinvolte, voire suspecte. Tout ceci ressemblait pour toi à un jeu dont l’aspect malsain n’était que la conséquence des vices cachés des autres.
Le temps passait et l’hypocrisie ambiante te saisissait à la gorge ; elle t’étranglait moins qu’elle ne te faisait vaguement rire. Il devenait urgent toutefois de juste… t’échapper de ce trou perdu dans les montagnes où tout le monde côtoie tout le monde mais sans jamais être honnête avec personne. C’était bon pour le business, mais pas pour le moral. Tu en as trouvé, des cadavres dans les placards, mais ça devenait très répétitif et sans véritable but. S’il ne s’agissait que de ça cependant, tu t’en foutrais.
Le pire avait été de confirmer que concrétiser quelque chose avec la fille de la maison d’en face aurait été incestueux. Au moins, ton foutu narrateur avait eu la diligence de t’en informer avant que tu n’aies eu le temps de déboucler ta ceinture. Avant que vous n’ayez eu le temps d’échanger un baiser, ç’aurait été mieux. Avant que vous n’ayez eu le temps de vous côtoyer intimement et de vous attacher l’un à l’autre, tant qu’à faire.
Ta mère savait et elle n’avait pas bronché, elle préférait prendre le risque d’avoir des petits-enfants consanguins qu’ébranler son confortable petit mensonge. Ton père avait toujours eu des doutes, mais il préférait rester dans le déni plutôt que de porter ses couilles.
Enfin, "ton père". Non, du coup. La bonne blague. Tu m’étonnes que ça ne dérangeait pas sa femme d’éduquer le spermatozoïde du type d’à côté.
Tu nourrissais des sentiments mitigés. De la colère ? De la déception ? De la tristesse ? Possible. Mais tout ceci était atténué par une sorte d’amusement résigné. Une part de toi saluait l’humour morbide de Dieu ou peu importe qui ou quoi. En tout cas, tu n’as jamais autant écrit qu’à partir de ce jour. Mais ce n’était plus pour les mêmes raisons. Tu devais y mettre les formes, les mots. Et ça tombait à pic : qui mieux placé que toi pour savoir comment raconter une histoire, alors que la farce qu’est la tienne t’est narrée en permanence.
La première fois que tu t’es fait un nom dans le milieu de la littérature, c’était donc en publiant un roman d’Amour. Avec un grand A, oui. Pathétique. Tu t’étais alors bêtement promis de ne plus jamais t’y réessayer, et que le petit a ferait désormais l’affaire ; celui qui suit le "b" de "baise". En plus, ça se vendait mieux, ça rapportait plus, ce qui était le but premier. Il te fallait devenir autonome.
Mais ce que tu considères être ton "véritable succès littéraire" a eu lieu dans ta ville de naissance. La distribution dans les boîtes aux lettres de copies d’un petit bloc de feuilles compilant toutes les crasses faites entre les uns et les autres au sein de cette commune de langues de bois, ça a provoqué un sacré bordel. Or tu n’as même pas pris la peine d’assister au désastre. Tu avais travaillé comme un forçat pour mériter ta place loin, très loin.
Tu es parti dès que tu as pu, sur ce dernier coup d’éclat puéril, comme l’on foule rageusement du pied une fourmilière, comme l’on craque et jette derrière soi une allumette dans une flaque d’essence. Par la suite, tu as reçu deux courriers. Un de ta famille. Et un de ta famille. Aucune des deux ne souhaitait plus entendre parler de toi, en particulier ton ex petite amie. Pouvait-on lui en vouloir ? Elle était probablement tombée des nues plus violemment que toi, d’apprendre qu'elle était ta demi-sœur.
Vous vous aimiez encore. Pas comme vous le devriez. Mais ça n’avait plus d’importance.
- Contenu pouvant heurter la sensibilité des plus jeunes :
- Tu t'es réveillé avec le froid chatouillant autant ton entrejambe que quelques mèches de cheveux d'une tête de fille plus-belle-quand-t'es-bourré échouée sur ta cuisse moite, en respirant l'odeur féti-capiteuse d'un caleçon étranger étalé sur ton visage ; même pas celui de l'homme dont tu as gardé des douleurs maxillaires et l'arrière-goût de quelques millions d'enfants noyés dans quatre, cinq, six, x Jägerbomb au fond de l'estomac, puis rincés par de l'eau tiédasse et vaguement caféinée dans laquelle se dissolvait de l'aspirine.
Au moins, tes lèvres étaient encore assez fonctionnelles pour tenir le toncar d'un reste de joint récupéré dans le cendrier qui dégueulait de mégots. Tu as achevé de remplacer l'amertume corrosive de l'alcool et des cachets effervescents par celle d'une fumée âcre d'un gris sale, pour mieux éprouver celle des sucs gastriques quand finalement tu as jugé ne pas avoir d'autre choix que d'aller t'enfoncer deux doigts jusqu'à l'uvule au-dessus des toilettes, miraculeusement immaculées dans la mer d'immondices qu'est l'appartement – il fallait que tu remédies à cette anomalie.
Tes entrailles étaient en chantier, en pleine overdose vu tout ce que tu as avalé d'un côté comme de l'autre. Ta meilleure amie allait te le répéter quand elle te verrait l'attendre à la sortie de son dernier cours de droit dans cet état : tu étais sur une pente descendante et tes excès allaient finir par avoir ta peau. Elle avait raison mais tu n'avais pas besoin d'elle pour t'en rendre compte. Ça faisait des mois que ça durait à un rythme alarmant. La griserie des premiers jours était une période révolue, lorsque tu découvrais encore l'immensité d'une ville nouvelle sous ses plus beaux aspects ; l'envers du décor t'avait happé dès que tu y avais mis un pied par ennui. Tu t'égarais.
Tu suivais d'un regard hébété l'étirement d'un filet de salive nauséabond depuis une commissure, jusqu'à ce qu'un "ploc" misérable ne trouble à peine l'eau déjà souillée. Tu ne pouvais évidemment plus t'y refléter mais de toute façon, tu n'as jamais été grand fan de cubisme. Depuis le fond de la cuvette, l'écho de ta voix s'est alors adressé à un interlocuteur que tu savais être non loin dans ton dos, probablement près de l'encadrement de la porte que tu n'as pas fermée.
Il attendait quoi la bite au vent ? S'il voulait pisser, qu'il aille dans la douche. S'il voulait se branler, qu'il aille dans la douche. S'il voulait te la mettre, qu'il attende au moins que tu sois dans la douche. Tu savais la courbure de ton échine particulièrement tentante alors que tu es à genoux mais ce n'était pas une raison pour prendre ton fessier à l'air pour une invitation.
Toujours est-il que la minute d'après, c'était toi qui te retrouvais derrière lui à agripper sa chevelure. Rien à voir avec une position sexuelle, hélas. Il avait juste eu besoin de prendre ta place pour lui-même se purger le tube digestif dans des hoquets et des râles disgracieux. Tu lui as fait remarquer qu'il avait un cul trop ferme et aguicheur pour avoir les cheveux blancs, avec un rictus goguenard s'entendant malgré ta voix râpeuse, ruinant ton accent anglais durement acquis pour faire ressortir des sonorités alémaniques.
La gueule de bois avait beau avoir cet effet piteux d'additionner trois fois l'âge de quelqu'un à ses traits, ses os, et ses capacités de réflexion, l'homme paraissait plus jeune que toi. Chose que te confirmait ton narrateur dans un monologue plein d'indifférence quant à sa totale indiscrétion sur sa vie privée qu'il te débitait avec zèle. En quelques instants, tu as tout appris. Un inconnu supplémentaire dont tu savais plus de choses que n'importe qui. Pourtant, ce n'était cependant pas si fréquent que ton talent se montre si intrusif. En tout cas, le calbute qui t'avait servi de masque pour dormir n'était pas non plus le sien.
Ton don avait fini de relater un passé déjà à peine croyable, et il était désormais parti en freestyle avec un synopsis digne des pires mélanges de romans de gare à deux sous, où tragédie amoureuse, enfant caché, déchéance humaine, relations toxiques, gangs, mafias, drogues dures, trafics d'êtres humains, se mélangent dans un vieux bordel stéréotypé pour faire pleurer de l'adolescente pseudo-littéraire à la ménagère en manque d'évasion, encensant des best-seller calqués sur les mêmes scénarios produits à la chaîne. Probablement un effet du THC.
Tu n'accordais pas beaucoup de crédit à cette partie-là, ce gros ramassis de clichés tout juste bon à t'inspirer un nouveau porno. Cependant, tout n'était pas à jeter dans cette histoire abracadabrantesque. Il y avait des détails qu'il serait amusant de voir se concrétiser. C'était son jour de chance, il allait lui arriver des trucs cool. Déjà, vous alliez devenir meilleurs potes. Ensuite, il allait rencontrer le grand amour grâce à toi, tu le lui jurais en fanfaronnant.
Enfin, paraît-il. Tu escomptais principalement faire de ta première affirmation une réalité avant de constater si la deuxième allait se vérifier dans un proche avenir. Alors tu lui as proposé d'être son chauffeur pour quitter cette adresse miteuse et qu'il ne soit pas en retard à la conférence qu'il s’apprêtait pourtant à sécher. Du moins, quand il aurait fini de vomir, car tu ne voulais pas qu'il salope ta boîte à gants.
Oxford. Tu y coulais des jours paisiblement mouvementés avec deux autres étudiants trouvés sur place. Un albinos à lunettes au passé douteux et une demoiselle plus joliment blonde que toi à l'avenir prometteur. Aussi écervelés l'un que l'autre. Tu étais censé être le plus mature de la bande, mais en réalité, tu complétais bien le tableau. Votre rencontre a été atypique, digne des numéros que vous étiez. Les génies dans vos filières respectives, toutes différentes, mais unies sous la même terreur de vos quatre cents coups. Riri, Ophé, et Baba, le trio infernal de l'une des universités les plus prestigieuses au monde.
Vous comptiez depuis peu un couple qui ne te surprenait pas ; un an qu'ils se tournaient autour sans sauter le pas, se cherchant, se testant. Tu avais fini par prétexter être trop occupé un samedi matin pour les accompagner à la mer. Le binoclard te servant de meilleur ami t'avait fixé bizarrement, car il n'avait jamais été prévu que vous y alliez. Tu avais roulé des yeux en prenant dans ta poche tes clés de voiture pour les lui jeter ; qu'il la fasse grimper à l'avant et qu'il lui prête son épaule pendant le trajet, cet abruti.
Tu savais qu'Ophélia adorait le bruit des vagues, l'odeur des embruns, l'écume glacée roulant sur ses chevilles nues. Tu savais qu'elle y laissait ainsi ses élans de mélancolie être lentement effacés comme les traces de ses pas dans le sable humide. Tu savais qu'elle était sceptique à l'idée de faire l'amour sur la plage en raison dudit sable dont les grains secs s'infiltraient partout. Tu pensais savoir qu'elle ne refuserait cependant pas d'essayer ; mais tu n'avais rien vécu de tout ça. C'était à Ulrich de le vivre et de tout savoir, à son tour.
Toi, tu te contentais de relations foireuses qui serviraient à faire marrer tes comparses plus tard. Tu ne niais pas que tu cherchais à ce que ça finisse mal, un peu. Tu choisissais essentiellement des hommes. Avec moins d'esprit que toi, pour ne pas dire que c'étaient des cons – mais c'en étaient. Ils étaient rapidement barbants. Seulement bons à te satisfaire sur un seul plan, vertical ou horizontal. Ils étaient parfois amoureux. Toi, non. Si tu déprimais souvent après des ruptures, que ce soit par ton initiative ou la leur, ce n'était jamais en pensant à eux, mais toujours en pensant à celle que tu devais te forcer à oublier. C'était certainement pour ça que tes rares nuits avec des femmes étaient systématiquement sans lendemain.
Tu n'aimais sincèrement qu'Ophé. Et Riri. Tu posais sur ces deux-là un regard qui ne pouvait être destiné à aucun autre, mais dont ils n'avaient pas conscience de la portée. Tes démonstrations d'affection avaient beau être évidentes, visibles de loin et par tous, les véritables preuves de ton attachement étaient complexes, sans intention d'être exposées comme telles.
Cela concernait particulièrement Ulrich, pour être honnête. Il y avait plus de sentiments vifs, réels, bruts, dans tes phalanges quand elles s'éclataient contre sa joue que lorsqu'elles ébouriffaient sa chevelure. Il y avait les mots gentils que tu griffonnais au stylo à paillettes en travers de ses feuilles de cours, pour la déconne, et les soirs que tu passais à rédiger des lettres d'excuses soignées à diverses administrations, en son nom. Il y avait lui payer le café, et régler sa caution au commissariat. Il y avait lui raconter de la merde pendant des heures, et l'engueuler sévèrement pendant des jours. Il y avait le féliciter bruyamment et faire la fête pour chacun de ses succès. Il y avait être silencieusement fier qu'il ait réussi à se retenir d'aller rendre définitivement aveugle un de tes ex quand tu es revenu avec une poche de glace contre la pommette après l'avoir plaqué.
Il y avait se comporter comme un gamin avec lui. Et il y avait se comporter en adulte avec lui. Tu assumais ce double rôle mais à de rares occasions, tu lui réservais aussi le privilège d'assister à quelques moments de faiblesse. Même si ce n'était généralement que des confessions en demi-teinte, des aveux involontaires. Des instants qu'il t'avait volés et que tu lui avais finalement donnés comme s'il n'avait jamais été question de les lui cacher, sur d'innombrables autres restés sans témoin, comme avant que tu ne fasses sa connaissance ; une période d'environ deux ans sur laquelle il valait mieux ne pas revenir, mais durant laquelle tu subissais une crise identitaire. Les conneries que tu avais faites n'avaient eu que le mérite de te permettre à terme de croiser son chemin et de retrouver le tien.
Tu étais la famille qu'il n'avait jamais eue. Il était la famille que tu n'avais plus. Tout allait bien. Tout devait aller bien. Et puis...
... ce que tu avais toujours su, mais jamais cru, et jamais redouté, est arrivé.
Riri gerbe : Baba lui tient les cheveux. Ces groupes nominaux sont indissociables. L’essence même de votre lien repose là-dessus. C’est une évidence, comme un plus un égale deux. C’est votre gimmick. Votre running gag. Votre private joke.
C’était censé être un matin comme des centaines d’autres car effectivement, tu étais dans l’appartement d’Ulrich en train d’empêcher ses mèches blanches de tomber devant son visage pendant qu’il dégueulait tout ce qu’il pouvait. C’est un des rares moments où à défaut d’être silencieux, au moins, il ne peut rien articuler de compréhensible, alors tu en as toujours profité pour te moquer davantage de lui que d’habitude.
Cette fois, tu es demeuré muet. Pas même un ricanement. Pas même un sourire. Il n’y en aurait plus avant longtemps.
Riri gerbe : Baba lui tient les cheveux. Il faut croire que la vie s’est appropriée cette blague, elle et son humour cruel dont tu avais déjà fait les frais. Elle n’était à l’origine drôle que pour vous et ça vous convenait. Elle n’avait désormais plus rien de drôle pour personne.
Ophé est partie.
Elle a juste abandonné son cursus. Elle s’est désinscrite. Volatilisée. Sans préavis. Ça paraissait irréel. La seule preuve que rien de tout cela n’avait été un rêve éveillé était la présence de sa veste reconnaissable entre toutes dans le bureau de l’albinos. Son odeur imprégnait encore de son jean usé. Un mélange particulier de café, de rhum, de peinture, de blanco, de sable, d’eau de mer, de fumée de cigarette, de parfum, et d’elle. Il s’agissait de sa seconde peau. Du témoignage matériel de vos journées passées sur le campus, dans des bars, dans ta voiture, sur la plage, sur des toits d’immeubles que tu affectionnes, dans n’importe quel lieu, ennuyeux ou improbables, tant que vous étiez ensemble.
Ton narrateur n’a été d’aucun secours non plus. Il racontait des inepties. Des histoires d’une sur un million. Ça n’avait pas de sens. Pourtant en y réfléchissant bien, tu ne pouvais pas blâmer ton pouvoir. Car en fouillant dans ta mémoire, tu te rappelles avoir été prévenu.
Mais alors, et la suite de l’histoire ? De ce roman de gare nul ? Non. Non non non non non.
Impossible. Et pourtant, ça expliquait tout.
Riri gerbe : Baba lui tient les cheveux. À ses "pourquoi" n’ont jamais été apportés de "parce que". Ni d’elle, ni de toi. Elle avait fait son choix. C’était son secret. Toi tu te tairais. Comme si tu n’avais jamais su. Car tu n’étais pas censé savoir. C’était probablement ce qu’il y avait de mieux à faire. Pour vous trois. Peut-être quatre.
Elle l’avait laissé derrière pour aller de l’avant. Elle espérait sûrement que tu restes en arrière pour le pousser en avant. En réalité, tu cherchais surtout à lui éviter la sortie de route. Même s’il brillait par ses publications, même s’il collectionnait les petits boulots nazes, même si grâce à ses études il voltigeait de pays en pays dès que l’occasion se présentait, toi, tu entendais par moment d’autres versions de ses occupations, plus proches du fameux roman de gare mafieux, que cette fois, tu commençais à considérer sérieusement.
Mais qu’est-ce que tu pouvais réellement faire ? La machine s’était déjà mise en marche, tant pis pour toi, tu n’avais qu’à en examiner les pièces tant que tu les avais en main. Maintenant, bonne chance pour les récupérer. Ce don auquel tu t’étais habitué, que tu avais appris à utiliser à ton avantage, devenait une source de frustration. Il ne disait jamais assez, tout en disant trop. Tu réalisais à quel point une distance se creusait entre toi et ton unique ami car les anecdotes à son sujet se raréfiait. Tu craignais qu’un jour, ton narrateur ne l’évoque plus. Ça fait longtemps qu’il n’a plus prononcé le prénom d’Ophélia. Il ne fait que conter avec une neutralité froide ta propre vie, alors, ceux qui disparaissent de ton quotidien sont voués à l’oubli, n’est-ce pas ? Après tout, c’est toi, le héros.
Tu parles.
Qu’est-ce que tu en avais à foutre de l’entendre décrire ce que tu savais être en train de faire ? Oui, tes journées sont consacrées à écrire, écrire, encore écrire, toujours écrire. Tu noircis des pages entières pour ta thèse, tu rédiges des articles de presse en indépendant, tu publies des pornos à tour de bras parce que tu ne peux pas manquer d’inspiration vu le défilé que c’est dans ton lit. Et surtout, quand il est à l’autre bout du monde à s’oublier dans celui d’un ou d’une autre, tu écris à Ulrich. Pour maintenir ce lien jusqu’à la prochaine fois où de retour à Oxford, il débarquera sans prévenir chez toi à trois heures du matin pour que te piquer ta bouffe, tes fringues, quelques pansements, compresses, glaçons, tes bières, tes clopes et ta beu, parfois même ton coup du soir, et, bien sûr, ta main dans ses cheveux pendant qu’il gerbe.
Tu t’en fichais. Ça ne te dérangeait pas qu’il soit décadent. Tu l’étais aussi. Tout ce qui t’importait et tu le lui répétais de plus en plus souvent, sur différents tons, à mesure que le temps passait, c’était qu’il ne dépasse pas les bornes. Parce que toi, tu veillais à ce qu’aucune de tes tares ne foute ta vie en l’air. Tu te disais non. Tu te disais stop. Tu anticipais tes dérapages pour ne pas finir dans le ravin. Tu avais appris à le faire car tu avais entrevu ce que tu pourrais devenir si tu te laissais aller. Tu te gérais seul, sinon, qui le ferait pour toi ?
Lui n’était pas prêt. Il ne l’avait jamais été. C’était un rude constat, mais pas moins vrai. Voilà pourquoi l’appartement d’Ophélia était vide. Bientôt, le tien le serait aussi. Tu terminais ta dernière année avec brio et tu te promettais déjà à une glorieuse carrière de journaliste.
Ophé est partie. Baba doit s’en aller aussi. Et Riri ?
À quoi reconnaît-on un bon journaliste ? À sa plume, en effet. À son bagou, certes. À son culot, pourquoi pas. À sa culture générale, assurément. À sa curiosité, son adaptabilité, sa passion, à plein de choses qui font beau dans un CV. Mais ce n’est pas vraiment dans ce but que la question est posée dans ce cas.
À quoi reconnaît-on un bon journaliste, selon toi ? Une de tes réponses serait son carnet d’adresse. Et le tien était très fourni. Avant même ta sortie de l’université, tu avais été approché par de nombreux professionnels intéressés par l’extrême qualité de tes articles. Ces professionnels avaient eux-mêmes des contacts avec d’autres professionnels, qui avaient évidemment des contacts avec d’autres professionnels. Et là, un monde s’est ouvert à toi.
Une immense toile qui finit toujours par relier tout le monde à tout le monde.
Une aubaine pour toi et ton narrateur. Ton doctorat validé, ta carrière a décollé en moins de deux, car tu savais saisir les bonnes opportunités, approcher les bonnes personnes, suivre les bons filons, et parfois, agiter de sales dossiers quand il le fallait. C’était une version géante de ton jeu d’adolescent, dans ta petite commune du Liechtenstein. Une version internationale, qui te mena aux quatre coins du globe. Mais tu ne choisissais pas tes destinations au hasard. Les fils que tu tirais étaient particuliers et n’avaient qu’un seul but : arrêter cette foutue machine. La plaisanterie avait assez duré. Tu allais faire un pied de nez à Dieu et reprendre le contrôle de vos vies. De la tienne, certes. Mais surtout de celle d’Ulrich.
Ce fut un travail de longue haleine. Tu y consacras quatre années. Quatre années de recoupements d’informations. Quatre années de bonnes et moins bonnes fréquentations. D’accord, parfois carrément de très mauvaises fréquentations. Quatre années de doutes. Quatre années d’une peur viscérale qu’un jour, à force de mettre les doigts dans l’engrenage, celui-ci ne finisse par te les broyer. Quatre années à ne pas hésiter cependant à y plonger le corps entier s’il le fallait.
Quatre années de gloire. Quatre années de ruine. Quatre années où tu avais beau briller dans ta carrière, tu t’enfonçais dans les ténèbres. Quatre années à entendre cette voix toujours aussi insensible te souffler des anecdotes de plus en plus horribles et de plus en plus vraies, ce qui les rendaient d’autant plus atroces. Quatre années à faire semblant de demeurer passif alors que tu n’avais qu’une envie, faire cesser tout ça. Quatre années à t’insensibiliser à ton tour. Quatre années pour noter un ultime nom dans ton carnet d’adresse.
Quatre années pour remonter Le réseau. Quatre années pour trouver Le flic. Quatre années pour proposer Le deal. Quatre années pour te préparer au jour où tu négocierais Un homme contre Tous.
Quatre années pour lesquelles tu renonçais à tous les mérites de ton dur labeur, les donnant à un inspecteur ayant des ambitions de commissaire malgré son anosmie flagrante quand il s’agissait de flairer des pistes. Ça t’importait peu que les forces de police comptent un mauvais élément gradé de plus, puisque celui-ci pouvait t’échanger contre sa future notoriété un billet à destination de Tapë Roa, et la garantie que celui à qui il profiterait échapperait ainsi à la case "prison". Tu n’avais qu’à le mener à l’heureux élu. Et ce dernier n’aurait qu’à saisir sa chance de balancer ses copains pour gagner sa place dans l’avion.
Tu lui avais passé un coup de téléphone anodin quelques semaines plus tard, qui t’avait appris qu’il l’avait bien saisie. Riri avait la voix fatiguée. Tu t’étais moqué de lui en mettant ça sur le compte du décalage horaire et en conseillant au papy qu’il était de se coucher plus tôt. Tu savais que ça n’avait rien à voir avec le décalage horaire. Tu avais raccroché en lui demandant sérieusement de se rétablir. Il y avait tellement de sous-entendus derrière ces simples mots.
Tu as mis un point final au roman de gare et tu fermais sa quatrième de couverture sans regretter que ton nom ne figure pas dans l’histoire. Sans regretter que le dénouement n’évoquera jamais au héros qu’une occasion incroyable offerte par un quelconque type, flicard probablement ripou. C'était le Deus Ex Machina. Tu t’estimais au-dessus. Tu avais devancé Dieu. Tu avais démonté la machine. Tu essuyais tes phalanges couvertes de l’encre que tu avais encore déversée pour ton prochain succès littéraire comme l’on nettoie la graisse de rouages bien huilés. Tu étais l’écrivain.
Les droits d’auteurs pleuvaient suite à la parution de ton dernier livre, additionné à tous les précédents. Ce n’était pas un roman pornographique, pour une fois. Ironiquement, c’était plutôt ce que tu appelais communément et assez dédaigneusement un roman de gare. Eh, ça t’avait pris quatre ans de ta vie, alors Riri te devait bien ça. Tu ne lui avais pas envoyé d’exemplaire, ceci dit. S’il venait à le lire, cependant, il ne tiquerait peut-être pas. Tu avais de l’imagination et du talent, quand même, inutile de ne faire qu’un vulgaire plagiat.
Pour celui-ci et les suivants, tu as commencé à accepter les séances de dédicaces, bien que tu trouvais ça long, lourd et peu rentable pour pécho car non, tu ne perdais pas le nord. Mais les éditeurs étaient contents. Tu étais prolifique. Tu générais de l’argent. Tu accroissais ta popularité sur deux fronts : en tant qu’auteur de bouquins pour pleureuses – sous un autre pseudonyme que tes torchons bons pour s’essuyer à la fin, supplication de tes éditeurs – et en tant que journaliste audacieux, tape-à-l’œil, à la limite du politiquement incorrect. Voire carrément dedans. Mais tu étais pardonné : tu as une belle gueule, alors on préférera le terme "sulfureux" à "outrageux". Comment ça, ça ne fonctionne pas comme ça le show-biz ? Il faut croire que si.
En tout cas ça fonctionnait assez pour que tu puisses aisément devenir un touche-à-tout et avoir tes exigences. Et si on te les refusait, tu avais suffisamment de ressources pour te financer tout seul. Tu as continué de voyager, car il était important pour toi d’être sur place pour être au plus près de la réalité que tu exposais nue, en quelques photos, en beaucoup de texte, parfois même en vidéo, en amateur ou avec des gens du métier, pourquoi pas. Journaux, télévision, internet, et t’en passe. Tous les médias, toutes les plateformes, tous les supports sont bons à être exploités. La réussite passe par l’omniprésence et la versatilité, tu l’as compris tôt.
Tu aimais particulièrement les sujets qui déplaisent. Mais moins par empathie que parce que c’est jouissif de mettre le nez des gens dans leur merde. Les politiques, les religieux, les géants d’entreprise n’ont qu’à bien se tenir. Oh, des informations confidentielles ont fuité ? Tu es toujours le premier sur le coup. Parfois tu es même le responsable. Et si tu es deuxième, c’est parce que tu as trouvé un sujet plus gros, et que même avec des oreilles partout, tu n’écris pas à la vitesse du son ; tu fais le tri et laisses le menu fretin à tes camarades.
Aujourd’hui tu es l’ami des gauchistes car tu as tapé sur la droite, demain tu seras l’ami des droitistes car tu auras tapé sur la gauche. Hier féministe, hier vegan, hier écolo, hier LGBT+, hier philanthrope, hier saint des saints. Dans deux jours, anti-tout-ce-qu’il-y-a-de-bien, pro-tout-ce-qu’il-y-a-de-pire. Non non non. Tu es l’ami et l’ennemi de tout le monde, à ce compte. Tu diras simplement que tu ne prônes qu’un ordre : la vérité, lavée de toute opinion.
Même à ton propre sujet, tu laissais croire que tu n’avais rien à cacher. C’était pratique, d’ailleurs, de les laisser s’extasier ou s’offusquer à propos de ton goût pour le libertinage ou des rumeurs sur tes consommations illicites. Ça faisait de belles grosses diversions pour les empêcher d’avoir l’idée de s’intéresser au reste de ta personne. Ça pouvait être perçu comme un paradoxe, mais on faisait difficilement meilleure couverture que le sexe et la drogue pour se préserver ; expose directement ce que les gens recherchent le plus, ils passeront à côté de tout le reste.
On t’adulait pour ça. On te haïssait pour ça. Ton courrier était partagé entre les lettres de fans et les lettres de menaces. Ne parlons pas de tes mails et de tes comptes sur les réseaux sociaux. Tu te délectais particulièrement de ton nombre de haters plutôt que de celui des vrais followers.
C’était exaltant, nul n’imaginait à quel point. Tu te sentais comme le roi du monde. Tu avais de l’ego, de l’ambition, des projets. Rien ne t’était impossible. Franchement, qu’est-ce qui pouvait te faire peur ? Tu as démantelé un réseau criminel entier alors que tu n’avais même pas atteint la trentaine. Personne ne le savait, ça, mais tu t’en foutais, là n’était pas le propos : tu avais pris le goût du risque.
Un peu trop.
Les militaires sur place t’avaient dit que c’était trop dangereux. Tu n’as rien voulu savoir. Tu étais confiant en ta voix intérieure. Elle t’avait affirmé qu’il allait se passer quelque chose de terrible. Tu ne savais pas encore quoi, mais tu voulais être aux premières loges quand ça arriverait. Tu croyais en son intuition. Tu croyais en ta débrouillardise. Le reste de ton équipe n’était pas aussi motivé que toi. Pas grave. Tu n’avais besoin ni d’un cameraman, ni d’une photographe, ni d’un assistant, ni d’un guide-traducteur. Juste de ton smartphone, et de tes fidèles carnet à spirale et stylo à paillette.
Le traducteur étranger t’a suivi, finalement, quand il a compris que personne ne t’arrêterait. Un trop bon gars. Il réalisait que tu allais finir dans les emmerdes. Et comment, qu’il allait se passer quelque chose de terrible. Même en le faisant exprès, tu n’aurais pas pu être davantage au cœur de l’action. Il aurait dû te laisser te faire repérer puis capturer seul.
Tu as regardé des films pornos gays jusqu’à l’aube. Ça ne t’a pas fait bander. Dommage, ça t’aurait occupé, un peu, entre deux phases d’endormissements interrompus par l’illusion d’un acouphène dont tu as pourtant guéri il y a quelques semaines. Combien, déjà ? Tu as jeté un œil au salon de ton appartement new-yorkais. Soixante-sept mégots de joints tombés sur la table basse, à côté du cendrier trop plein pour qu’ils tiennent. Une dizaine de bouteilles de codéine vides fréquentant de près celles de sodas et d’alcools variés. Tu t’es gratté la joue. C’était poilu. Mmh. Ça doit faire vingt, vingt-cinq jours. Trente, quarante.
Près de la fenêtre, deux tours effondrées de paquets de cigarettes, avec un avion en papier écrasé plus loin. Tu t’es rappelé avoir filmé l’action avant de l’envoyer sur Twitter le onze septembre, avec un smiley qui pleure. De rire. Le nombre de retweets s’est envolé. Le nombre de commentaires enragés aussi. C’étaient les seuls à s’exciter, car toi, ça ne t’avait pas fait bander non plus. Tu songeais à clôturer ton compte depuis longtemps. Tu croyais que ce serait plus drôle de le faire bannir. Tu t’es fait bannir. Ce n’était pas si drôle. Décevant.
La blague n’a pas fait rire non plus les journaux qui t’employaient. La plupart n’ont plus voulu collaborer avec toi. Ça t’a à peine fait hausser les épaules : tout le monde savait que d’ici quelques mois, ce serait de l’histoire ancienne. Ils ont juste essayé de faire bonne figure auprès de l’opinion publique jusqu’à ce qu’un autre scandale stupide les aveuglent. Quand elle t’aura oublié, ils reviendront. Mais tu n’étais pas certain que tu ressaisirais les mains tendues. Tes éditeurs t’ont gardé, eux. Ils espéraient sans doute que tu écrives un livre. Sur ce qui t’est arrivé.
Il pouvaient aller se faire élargir dans une ruelle glauque pour que tu te donnes cette peine. Tu ne raconterais rien. Tu ne te ferais pas de blé là-dessus. Tu ne leur permettrais pas de se faire du blé là-dessus. Au même titre que tu fuyais les interviews, les plateaux télés, tes collègues. Quelle douce ironie. Tu esquivais également les polémiques de l’Hexagone à ton sujet, raison de ton exil aux États-Unis. Parce que oui, pour être imprudent comme toi sur le terrain, il fallait travailler avec des français. Le revers de la médaille, c’est que les bouffeurs de grenouilles sont aussi de sacrés râleurs. Tu n’avais pas envie de devenir un deuxième Hervé Ghesquière.
Pour enfoncer le clou, le dernier manuscrit que tu as envoyé était… bingo, un roman pornographique. Particulièrement mauvais, en plus. Ta plume est fatiguée, au même titre que toi. Ton narrateur, en revanche, il ne connaissait pas l’épuisement. Le jour. La nuit. Dans tes rêves. Dans tes trips hallucinatoires. Que tu sois en mesure de comprendre ce qu’il baragouinait ou pas, il monologuait. Ça te drainait encore plus d’énergie. Le silence que tu n’avais plus embrassé depuis tes douze ans te manquait. Tu n'étais néanmoins plus sûr d’à quoi ça ressemble.
Certains dans ton entourage compatissaient, tu le savais. Tu n’as pas de véritables amis, mais suffisamment de connaissances qui ont réussi à s’accommoder de ton caractère désastreux pour se soucier un minimum de toi. Ils s’imaginaient tous que ta dérive, c’est à cause de ce qui s’est passé là-bas. Mais non. Enfin, si. Sauf qu’il n’y avait pas que ça. Ils ne pouvaient pas savoir. Une fois de plus, toi seul savait.
Tu pensais à Ulrich, depuis le sous-sol où tu croupissais. Puis tu avais eu une pensée pour Ophélia et soudain, tu avais été averti que tu ne la reverrais jamais. C’était ignoble à entendre, de la part de cette voix si détachée, si catégorique. Tu avais regardé tes ravisseurs. Ils te braquaient ; normal, tu avais tenté de t’échapper quelques heures plus tôt. Tu croyais que tu allais te faire abattre. Chacune de tes dents s’imprimait sur ton bâillon. Tu captais des conversations énervées en syro-libanais. Il y avait eu un mouvement à côté de toi. Ton guide s’était raidi. Tu avais reconnu ton téléphone orienté vers vous en sens paysage, et tu avais à peine eu le temps de réaliser que vous étiez filmés que sous des éclaboussures poisseuses, ton oreille sifflait suite à une détonation. Un poids mort tomba sur ton épaule. Ce n’était pas toi qu’ils avaient tué.
"Tu ne la reverras jamais." C’est resté dans un coin de ton esprit comme une tâche plus tenace que le sang. Tu avais supposé que c’était une prédiction erronée, car tu étais toujours bien vivant, et donc bien capable d’entamer des recherches pour la retrouver. Tu t’es renseigné, tu t’es acharné, pour pister une trace, une infime trace de son existence, qui te mènerait ensuite à une trace plus grosse, pour l’atteindre. Tu ne comptais pas interférer dans sa vie, puisqu’elle avait choisi de faire la sienne ailleurs. Il te fallait seulement la preuve de l’erratum.
Mais voilà. Au bout du chemin. Après avoir remonté toutes les traces. Tu as compris.
Ophé est partie.
Partie.
MORTE, MERDE.
Pendant que toi, petit malin, tu étais bloqué en Syrie. Ça te hantait. Ça te dévorait les tripes. Si tu n’avais pas foiré ton évasion – non, si tu avais écouté les militaires, si tu n’avais pas été quelqu’un d’aussi borné, d’aussi arrogant, si tu avais arrêté de te prendre pour Dieu juste parce que tu l’as dupé, une pauvre fois sur une infinité… Tu aurais peut-être pu…
Arrête, fais un peu face à tes responsabilités, Basil ! Inutile de rejeter la faute sur les circonstances proches. Le problème n’est pas d’avoir été enlevé et séquestré dans plusieurs caves pendant plus d’un an. Tu as réagi trop tard dès le début. C’était il y a quinze putains d’années que tu aurais dû faire quelque chose. Tu avais toutes les clés en main. Le plan du mécanisme. Le temps pour l’étudier. Tu n’as rien fait. Puis tu as extirpé Riri de la matrice, bravo champion. Mais tu l’as délaissée, elle. Le pire, c’est qu’elle n’était pas si loin. Depuis l’Angleterre, il n’y avait qu’à traverser la Manche.
Tu devrais quitter ton canapé. Tu devrais te laver. Tu devrais te changer. Tu devrais te raser. Tu devrais avaler de la vraie nourriture. Tu devrais faire le ménage. Tu devrais reprendre une vie plus saine.
Tu devrais faire tes valises, aussi, et prendre un billet pour retourner voir les mangeurs de baguettes ; tu as encore quelque chose à vérifier dans le Calvados. Un miracle s’y est produit.
Un cliquetis satisfaisant a fait vibrer tes tympans, puis tu as doucement poussé la porte ouverte, avant de la refermer derrière toi sans un bruit de pêne. Tu as posé tes sacs dans l’entrée et tu as observé les lieux, longuement, t’imprégnant de l’atmosphère. Ça mériterait d’être aéré ; sitôt pensé, sitôt fait. Tu t’es dirigé vers la salle de bain ensuite, parce que tu traînais également une odeur pas terrible après un si long voyage pour venir jusqu’ici.
Une serviette enroulée autour du bassin, une autre te servant à frictionner tes cheveux humides, tu as rejoint la chambre et tu as fouillé dans la penderie en quête de vêtements propres. Tu as trouvé ton bonheur en te fiant à ton flair, collé contre le tissu. En terminant d’enfiler un tee-shirt ample sur un bas de jogging, tu t’es déplacé jusqu’à la cuisine, ouvrant le frigo pour t’y servir, qu’importe son contenu. Tu as trouvé l’alcool aussi. Puis tu es allé t’asseoir dans l’encadrement de la fenêtre ouverte, et tu as attendu en remplissant le cendrier et ton verre.
Attendu qu’Ulrich revienne et qu’il constate que tu as fait comme chez toi, mais chez lui. Sans le prévenir, bien sûr. Mais ça devrait lui faire plaisir, non ? Comme au bon vieux temps, quand lui-même se pointait à l’improviste et prenait toute la place. Tu venais squatter quelques jours, bonne nouvelle, pas vrai ? Au moins jusqu’à ce que ton propre logement ne soit plus seulement un ensemble de pièces vides, de cartons entassés, de meubles à monter. Ça te foutait le cafard, mais ça, tu ne le précisais pas à voix haute. Tu n’allais pas te plaindre alors que c’était grâce à lui que tu emménageais aussi à Tapë Roa, hein ? Il t’a même dégoté un poste de professeur de littérature.
Tu avais fait le tour de ce que le métier de journaliste avait à t’offrir de positif, et cavaler à travers le monde n’avait plus autant de charme. Tu réclamais juste la paix, peut-être quelques temps, peut-être pour toujours. Aucune importance. Tu en avais marre de cette vie de saltimbanque. Tu allais bientôt avoir quarante ans, tu n'as pas de femme ni d'enfants, tu pouvais au moins être propriétaire.
Enfin, ça, ce n’est que l’excuse que j’ai donnée pour enfin être un personnage à part entière de l’histoire, n’est-ce pas ? Ne me faites pas rire, vous n’avez tout de même pas cru que je n’ai jamais rien eu d’autre derrière la tête ? Vous pensez franchement que je ne suis pas au courant que tout ne s’écrira réellement qu’à partir de cet instant ?
Faites vos jeux.
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